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Albert Rouet

Albert Rouet

Archevêque de Poitiers, Mgr Albert Rouet est l’une des figures les plus libres de l’épiscopat français. Son ouvrage J’aimerais vous dire (Bayard, 2009) est un best-seller dans sa catégorie. Vendu à plus de 30 000 exemplaires, ce livre d’entretiens porte un regard assez critique sur l’Eglise catholique.

L’Eglise catholique est secouée depuis plusieurs mois par la révélation de scandales de pédophilie dans plusieurs pays européens. Cela vous a-t-il surpris ?

Je voudrais d’abord préciser une chose : pour qu’il y ait pédophilie, il faut deux conditions, une perversion profonde et un pouvoir. Cela signifie que tout système clos, idéalisé, sacralisé est un danger. Dès lors qu’une institution, y compris l’Eglise, s’érige en position de droit privé, s’estime en position de force, les dérives financières et sexuelles deviennent possibles. C’est ce que révèle cette crise, et cela nous oblige à revenir à l’Evangile ; la faiblesse du Christ est constitutive de la manière d’être de l’Eglise.

En France, l’Eglise n’a plus ce type de pouvoir ; cela explique qu’on est face à des fautes individuelles, graves et regrettables, mais que l’on ne connaît pas une systématisation de ces affaires.

Ces révélations surviennent après plusieurs crises, qui ont jalonné le pontificat de Benoît XVI. Qui malmène l’Eglise ?

Depuis quelque temps, l’Eglise est battue d’orages, externes et internes. On a un pape qui est plus théoricien qu’historien. Il est resté le professeur qui pense que quand un problème est bien posé, il est à moitié résolu. Mais dans la vie, ce n’est pas comme cela ; on se heurte à la complexité, à la résistance du réel. On le voit bien dans nos diocèses, on fait ce qu’on peut ! L’Eglise peine à se situer dans le monde tumultueux dans lequel elle se trouve aujourd’hui. C’est le cœur du problème.

Au-delà, deux choses me frappent dans la situation actuelle de l’Eglise. Aujourd’hui, on y constate un certain gel de la parole. Désormais, le moindre questionnement sur l’exégèse ou la morale est jugé blasphématoire. Questionner ne va plus de soi, et c’est dommage. Parallèlement, règne dans l’Eglise un climat de suspicion malsain. L’institution fait face à un centralisme romain, qui s’appuie sur tout un réseau de dénonciations. Certains courants passent leur temps à dénoncer les positions de tel ou tel évêque, à faire des dossiers contre l’un, à garder des fiches contre l’autre. Ces comportements s’intensifient avec Internet.

En outre, je note une évolution de l’Eglise parallèle à celle de notre société. Celle-ci veut plus de sécurité, plus de lois, celle-là plus d’identité, plus de décrets, plus de règlements. On se protège, on s’enferme, c’est le signe même d’un monde clos, c’est catastrophique !

En général, l’Eglise est un bon miroir de la société. Mais aujourd’hui, dans l’Eglise, les pressions identitaires sont particulièrement fortes. Tout un courant, qui ne réfléchit pas trop, a épousé une identité de revendication. Après la publication de caricatures dans la presse sur la pédophilie dans l’Eglise, j’ai eu des réactions dignes des intégristes islamistes sur les caricatures de Mahomet ! A vouloir paraître offensif, on se disqualifie.

Le président de la conférence épiscopale, Mgr André Vingt-Trois l’a redit à Lourdes le 26 mars : l’Eglise de France est marquée par la crise des vocations, la baisse de la transmission, la dilution de la présence chrétienne dans la société. Comment vivez-vous cette situation ?

J’essaie de prendre acte que nous sommes à la fin d’une époque. On est passés d’un christianisme d’habitude à un christianisme de conviction. Le christianisme s’était maintenu sur le fait qu’il s’était réservé le monopole de la gestion du sacré et des célébrations. Face aux nouvelles religions, à la sécularisation, les gens ne font plus appel à ce sacré.

Pour autant, peut-on dire que le papillon est  » plus  » ou  » moins  » que la chrysalide ? C’est autre chose. Donc, je ne raisonne pas en termes de dégénérescence ou d’abandon : nous sommes en train de muter. Il nous faut mesurer l’ampleur de cette mutation.

Prenez mon diocèse : il y a soixante-dix ans, il comptait 800 prêtres. Aujourd’hui il en a 200, mais il compte aussi 45 diacres et 10 000 personnes impliquées dans les 320 communautés locales que nous avons créées il y a quinze ans. C’est mieux. Il faut arrêter la pastorale de la SNCF. Il faut fermer des lignes et en ouvrir d’autres. Quand on s’adapte aux gens, à leur manière de vivre, à leurs horaires, la fréquentation augmente, y compris pour le catéchisme ! L’Eglise a cette capacité d’adaptation.

De quelle manière ?

Nous n’avons plus le personnel pour tenir un quadrillage de 36 000 paroisses. Soit l’on considère que c’est une misère dont il faut sortir à tout prix et alors on va resacraliser le prêtre ; soit on invente autre chose. La pauvreté de l’Eglise est une provocation à ouvrir de nouvelles portes. L’Eglise doit-elle s’appuyer sur ses clercs ou sur ses baptisés ? Pour ma part, je pense qu’il faut faire confiance aux laïques et arrêter de fonctionner sur la base d’un quadrillage médiéval. C’est une modification fondamentale. C’est un défi.

Ce défi suppose-t-il d’ouvrir le sacerdoce aux hommes mariés ?

Non et oui ! Non, car imaginez que demain je puisse ordonner dix hommes mariés, j’en connais, ce n’est pas ça qui manque. Je ne pourrais pas les payer. Ils devraient donc travailler et ne seraient disponibles que les week-ends pour les sacrements. On reviendrait alors à une image cultuelle du prêtre. Ce serait une fausse modernité.

Par contre, si on change la manière d’exercer le ministère, si son positionnement dans la communauté est autre, alors oui, on peut envisager l’ordination d’hommes mariés. Le prêtre ne doit plus être le patron de sa paroisse ; il doit soutenir les baptisés pour qu’ils deviennent des adultes dans la foi, les former, les empêcher de se replier sur eux-mêmes.

C’est à lui de leur rappeler que l’on est chrétien pour les autres, pas pour soi ; alors il présidera l’eucharistie comme un geste de fraternité. Si les laïques restent des mineurs, l’Eglise n’est pas crédible. Elle doit parler d’adulte à adulte.

Vous jugez que la parole de l’Eglise n’est plus adaptée au monde. Pourquoi ?

Avec la sécularisation, une  » bulle spirituelle  » se développe dans laquelle les mots flottent ; à commencer par le mot  » spirituel  » qui recouvre à peu près n’importe quelle marchandise. Il est donc important de donner aux chrétiens les moyens d’identifier et d’exprimer les éléments de leur foi. Il ne s’agit pas de répéter une doctrine officielle mais de leur permettre de dire librement leur propre adhésion.

C’est souvent notre manière de parler qui ne fonctionne pas. Il faut descendre de la montagne et descendre dans la plaine, humblement. Pour cela il faut un énorme travail de formation. Car la foi était devenue ce dont on ne parlait pas entre chrétiens.

Quelle est votre plus grande inquiétude pour l’Eglise ?

Le danger est réel. L’Eglise est menacée de devenir une sous-culture. Ma génération était attachée à l’inculturation, la plongée dans la société. Aujourd’hui, le risque est que les chrétiens se durcissent entre eux, tout simplement parce qu’ils ont l’impression d’être face à un monde d’incompréhension. Mais ce n’est pas en accusant la société de tous les maux qu’on éclaire les gens. Au contraire, il faut une immense miséricorde pour ce monde où des millions de gens meurent de faim. C’est à nous d’apprivoiser le monde et c’est à nous de nous rendre aimables.

Propos recueillis par Stéphanie Le Bars
Journal Le Monde du 4 avril 2010

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4 Réponses à “Une interview de mgr Albert Rouet : Un discours au goût de réforme, non ?”

  1. benoite dit :

    merci estelle d’avoir attiré notre attention sur cet article.
    j’y lis que l’église catholique est en mouvement, et cela me semble un bon signe.

    « C’est à nous d’apprivoiser le monde et c’est à nous de nous rendre aimables. » dit encore l’évèque.

    mis à part sur le sujet de la pédophilie qui ne se pose pas en ces termes pour les protestants le prêtre n’étant pas sacralisé, j’ai entendu des propos sensiblement analogues du doyen de la faculté théologie protestante de paris il y a quelques mois.
    il me semble que la hiérarchie de nos églises prend conscience du quotidien de ses fidèles, qu’elle commence à écouter ceux qui font bouger les choses à leur niveau, par leur témoignage et leur manière d’être pour autant qu’ils le peuvent.
    ensemble, communautés et pasteurs qui les conduisent comme le berger son troupeau, ils construisent le demain.
    qu’en pensez-vous ?

  2. Francisco dit :

    Mgr Rouet constate le désintérêt des nouvelles générations pour toutes les religions. C’est la révolte de mai 68 qui détruisit les structures traditionnelles que sont la famille, la religion, la citoyenneté et qui toutes impliquaient des règles qu’on admettait même si on ne les respectait guère.
    Dès lors comment être père quand on veut rester jeune jusqu’à la mort ? Que peut-on transmettre quand on a tout renié au nom d’une liberté mortifère ? Les Eglises se replient sur des communautés de laïcs ou sur des monastères qui se regroupent pour avoir un rayonnement suffisant. Les paroisses assurent une présence dans la cité mais se regroupent aussi pour mettre en commun leurs ressources.
    Les religions se regrouperont-elles également pour unir leurs forces contre le mal qui se mondialise comme le commerce et l’industrie ? On voit comme le harcellement d’un philosophe Suisse contre son ancien ami le Pape Benoit XVI est un obstacle contre la survie d’une espèce d’hommes et de femmes en voie de disparition, celle des croyants

  3. benoite dit :

    Je ne sais pas si on peut imputer tant de choses à mai 68 Francisco ..et qu’il est temps de chercher ce en quoi les déclarations de Monseigneur Albert Rouet non concernent.

    Est-ce qu’il nous appartient à nous « fidèles » (+ ou -) de rentrer dans des débats de théologiens ?
    de nous demander si le théologien parle à titre personnel de ses convictions ou pas ?
    pour revenir au propos Monseigneur a.Rouet dit :

    « L’Eglise est menacée de devenir une sous-culture. Ma génération était attachée à l’inculturation, la plongée dans la société. Aujourd’hui, le risque est que les chrétiens se durcissent entre eux, tout simplement parce qu’ils ont l’impression d’être face à un monde d’incompréhension. Mais ce n’est pas en accusant la société de tous les maux qu’on éclaire les gens »..

    il n’est pas utile de faire en sorte que les chrétiens s’endurcissent entre eux : on les voit à l’oeuvre dans les milieux associatifs où ils s’apprécient mutuellement.
    ne peut-on espérer que cela les rendra plus forts dans leur foi, au point qu’individuellement aussi ils puissent en témoigner, la vivre, la partager ?
    s’il y a un monde d’incompréhension, est-ce que que nous pouvons faire en sorte qu’il ne s’installe pas entre les chrétiens, ou ceux qui essaient de l’être ?

  4. Francisco dit :

    Benoite Mgr Rouet était attaché à une Eglise plus sociale, c’est ce qu’il veut rappeler. Je pense qu’il faudrait que les chrétiens transmettent à temps et à contre-temps le message des béatitudes dans toutes les couches de la société. Le milieu associatif, les semaines sociales sont autant de lieux d’échange très cordiaux même si je sens côté protestant une critique constante de l’autorité du pape, primus inter pares, le premier parmi ses pairs. Le rapprochement est rendu aléatoire en raison des tendances intégristes des deux bords. Marie est – étrangement – un sujet de controverses.
    Qu’importe, échangeons pacifiquement à lumière de l’Esprit de la Pentecôte toute proche.

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